La fin d’une époque
Mardi prochain, le 8 avril, Microsoft arrêtera officiellement le support de Windows XP. À compter de cette date, les utilisateurs ne recevront donc plus aucune mise à jour, même critique. Ce faisant, Microsoft veut obliger ses clients à adopter une version plus récente de Windows quitte à leur faire prendre des risques plus grands face aux malwares en tout genre. C’est que l’ancêtre XP est devenu au fil du temps un véritable boulet pour Microsoft. Ses utilisateurs s’y accrochent et boudent les nouvelles versions. Nous avons tous en tête l’échec de Windows Vista, mais même Windows 7 n’a pas effacé XP. Après plus de 12 ans d’existence, XP représente encore entre 20 et 30 % du parc de PC et certains observateurs ont même constaté une hausse de son utilisation ces deux derniers mois !
Pour Microsoft, se débarrasser de XP est donc presque une question de survie, une question rendue encore plus aiguë par la chute du PC en tant qu’ordinateur personnel principal. Comme Steve Jobs l’avait énoncé à la sortie de l’iPad, le monde est rentré dans l’ère post-PC : les consommateurs s’achètent de préférence un smartphone ou une tablette, qui répondent à la majorité de leurs besoins.
Mais laissons à Microsoft le soin de s’attaquer à ces défis. En ces jours d’adieu à Windows XP, revenons sur ces 12 ans de règne.
La génèse d’un chef d’oeuvre
Windows XP est lancé par Microsoft le 25 octobre 2001 par un Bill Gates euphorique. Connu pendant son développement sous le nom “Whistler”, XP est le fruit d’un travail de longue haleine commencé dans les années 90. Microsoft est alors bien consciente que la branche Windows 95 est à bout de souffle, quand la branche NT au contraire se montre beaucoup plus stable. L’idée est donc de créer une version grand public de Windows basée sur le noyau NT. Selon le plan initial, Windows 98 devait être le dernier Windows non-NT. Mais le développement de NT 5.0 prit du retard, ce qui força Microsoft à lancer Windows 98 Second Edition (en 1999) puis Windows ME (en 2000). Quand Windows XP sort enfin, il est donc très attendu, ce qui explique en partie son succès.
Les fonctions phares
Pour le grand public, Windows XP sera une révolution. Tout change : l’intérieur avec le noyau NT 5.1 et l’extérieur avec l’interface qui fait un grand usage des effets de transparence et de volume. De très nombreuses nouvelles fonctions font leur apparition : le menu Démarrer sur deux colonnes, une bascule rapide entre plusieurs comptes utilisateurs, le mode d’hibernation, la prise en charge de la gravure des CD dans l’explorateur, DirectX 8.1, une visionneuse d’image dans l’explorateur, etc. Sous le capot, Windows XP est aussi le premier Windows à utiliser le rendu des polices ClearType (adapté aux écrans LCD qui se démocratisent à l’époque) et à supporter l’HyperThreading ou encore les liens symboliques. Notons encore l’apparition d’un pare-feu intégré, une bien meilleure gestion des réseaux WiFi et la compatibilité avec le protocole PPPoE, très utile à tous ceux qui se connectent à internet via une box ADSL. Enfin, Windows XP incluait Internet Explorer 6, un navigateur internet dont le rôle sera central pendant une décennie.
La configuration recommandée
Octobre 2001 c’était il y a 12 ans et demi. En ce temps-là, Intel tente d’expliquer au monde pourquoi son Pentium 4 à 1,5 GHz est plus lent que son Pentium III à 1 GHz alors qu’AMD vient tout juste de lancer ses Ahtlon XP Palomino, qui vont débuter une longue série à succès. Mais bien sûr, Windows XP pouvait fonctionner sur des machines bien moins puissantes : la configuration minimale selon Microsoft est un processeur à 233 MHz, 64 Mo de RAM, un écran SVGA, un lecteur de CD et 1,5 Go d’espace disque. La configuration recommandée comprenait un processeur à 300 MHz et surtout 128 Mo de RAM ; selon nous c’était le strict minimum.
Abus de position domniante n°1 : WMP
Une des particularités de Windows XP est qu’il intégrait deux logiciels annexes, mais essentiels à l’utilisateur à l’époque : le lecteur multimédia Windows Media Player (WMP) et le navigateur Internet Explorer. Ces deux éléments rendaient de grands services à l’utilisateur, mais ils n’ont pas du tout été du goût des concurrents de Microsoft, qui ont déposé plainte pour abus de position dominante. Ces plaintes ont abouti aux amendes les plus fortes jamais réglées par Microsoft.
C’est en Europe que le géant américain subit les plus grosses défaites. En 2004, une première enquête de la commission européenne suite à une plainte de Sun Microsystems conclut que Microsoft a abusé de son pouvoir de marché en limitant, de façon délibérée, l’interopérabilité entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media (WMP) avec Windows, son système d’exploitation présent sur la quasi-totalité des PC dans le monde.
Microsoft créera alors les éditions “N” de Windows XP, dépourvues du WMP, qui ne séduiront pas le public faute d’être vendues moins cher.
Microsft ne satisfera cependant pas les exigences de la Commission européenne sur le premier point et se verra infliger une amende majorée, totalisant 899 millions d’euros en 2008.
Abus de position dominante n°2 : IE 6
2014 marque le 25e anniversaire du World Wide Web, inventé par Tim Bernes-Lee. Pourtant Microsoft a presque manqué ce qui est sans doute la révolution technologique la plus importante du 20e siècle après l’invention de la télévision. Bill Gates ne croyait pas à ce réseau ouvert, préférant une plateforme close, feu The Microsoft Network (MSN). À cause de cette erreur stratégique, le navigateur de référence fut pendant de longues années Netscape. Mais Microsoft a très rapidement réagi et a su imposer Internet Explorer en quelques années. Comment ? Notamment avec un argument massue : Internet Explorer était gratuit et livré d’office avec Windows. Pourquoi alors aller chercher un autre navigateur ? Grâce à cette intégration – et à une vraie avance technologique – IE relégua Netscape aux oubliettes, si bien qu’en 2001, lorsque Windows XP débarque avec IE 6, il possède plus de 90 % de part de marché.
Ce succès valut à Microsoft deux procès retentissants : l’un contre le ministère de la Justice américain, en vertu de la loi antitrust, l’autre contre la Commission européenne. Le premier était sans conteste le plus risqué, Microsoft pouvant se voir imposer une scission comme IBM dans les années 1970. Microsoft parvint à éviter le sort de Big Blue en proposant un arrangement amiable. Elle fut moins chanceuse avec la Commission européenne. En 2009, celle-ci demanda à Microsoft d’ajouter sur toutes les versions de Windows un écran de choix du navigateur, promouvant les concurrents d’Internet Explorer, toujours intégré au système. Microsoft s’exécuta, mais “un bug” fit disparaître cet écran des nouveaux PC livrés avec Windows 7 SP1. En conséquence, la Commission infligea à Microsoft une nouvelle amende, de 561 millions d’euros.
Le syndrome IE6
IE 6 n’a pas valu que des ennuis judiciaires à Microsoft. Il devint aussi le symbole de l’hégémonie et de l’arrogance de Microsoft, contre laquelle le monde libre devait entrer en résistance. Ayant réussi à éliminer la concurrence (IE 6 posséda 95 % de part de marché à son apogée en 2002) le navigateur cessa d’évoluer. Alors qu’il n’avait fallu que deux ans pour passer de IE 1 à sa version 4, puis quatre ans pour atteindre la version 6, il fallut attendre 2006, soit cinq ans pour voir arriver IE 7.
Or, si le navigateur de la quasi totalité des PC n’évolue pas, c’est l’ensemble du web qui peine à adopter de nouvelles technologies. IE 6 devint ainsi au fil du temps un boulet, qui retarda la mise en oeuvre de nouveaux standards. Ce temps est heureusement révolu : Firefox d’abord, puis Chrome ont renversé le roi sénile de son trône. Même Microsoft a fini par le pousser vers la sortie en créant la campagne IE 6 countdown L’ancêtre, cependant n’a pas disparu : il est encore fortement utilisé en Chine.
La longévité via les Service Packs
En plus de dix ans de règne, XP a connu de nombreuses mises à jour et surtout trois Services Packs. Loin de seulement compiler les patchs de sécurité, ces SP ont ajouté des fonctions essentielles à l’OS.
En septembre 2002, le SP1 ajouta notamment la compatibilité avec l’USB 2.0 ou le framework .NET. Deux ans plus tard, le SP2 répondait aux critiques concernant la sécurité de Windows XP. Avec lui apparut le centre de sécurité de XP et le pare-feu intégré était activé d’office. Windows XP apprenait aussi à gérer les réseaux WiFi sécurisés par clé WPA. Le développement du SP2 fut si important pour Microsoft, qu’il monopolisa une partie des équipes en charge de la création de Windows Vista, dont la sortie prit donc du retard. Mais grâce à lui, Windows XP récupéra une bonne image. En 2008, enfin, le SP3 parachevait XP en incorporant de nouvelles mises à jour de sécurité.
Chacun de ces services packs ajoutait également de nouveaux pilotes matériels dans la dotation de base de Windows XP. Cependant, malgré ses trois SP, XP n’a jamais comblé tous ses manques. Par exemple, XP ne sait pas s’installer seul des disques durs en AHCI (il faut fournir le pilote adéquat manuellement). XP est aussi inadapté aux SSD, faute de connaître la commande TRIM ou de corriger son alignement sur la taille des pages des SSD.
Un succès, de gros échecs aussi
L’histoire de Windows XP n’est pas seulement jonchée de succès. Même au fait de sa gloire, Microsoft a dû essuyer de gros échecs. Citons par exemple le 64 bits. Lorsque Microsoft a développé Windows XP, aucun processeur grand public n’était 64 bits. Alors quand AMD lance ses premiers Athlon 64, Microsoft est prise de court. Il faudra attendre 2005 pour obtenir une version spécifique de XP, Windows XP Professional x64 Edition, basée non pas sur le code de XP 32, mais sur celui de Windows Server 2003. La compatibilité est bancale, les pilotes de périphériques se faisant rares, le gain de performance à peu près inexistant et l’OS sera finalement boudé.
Le flop de XP 64 n’est cependant rien à côté de l’échec des Tablet PC et des UMPC. Les contempteurs d’Apple rappellent souvent que l’iPhone et l’iPad n’ont rien inventé, qu’avant eux il y eut entre autres les Tablet PC et les UMPC. C’est vrai. Mais il suffit de jeter un oeil sur le Samsung Q1 ci-contre, pour comprendre les vertus des créations des équipes de feu Steve Jobs. Suivant sa logique “Windows partout” Microsoft voulut ajouter à XP la gestion d’écrans tactiles sans modifier son interface. À l’usage, la greffe ne prenait pas. Ajoutez à cela les limitations dues au matériel de l’époque (processeurs peu puissants, pas de mémoire flash rapide, mais des disques durs 1,8″ voire 1″ très lents) et vous obtenez des produits désagréables à utiliser.
Windows XP se meurt, le PC aussi
Windows XP n’aurait jamais dû vivre aussi longtemps. Microsoft avait prévu deux successeurs : Longhorn, une simple évolution de Windows XP planifiée pour 2003 puis BlackComb, le véritable nouvel OS. Mais le développement ne s’est pas déroulé comme prévu ; Microsoft annonça en août 2004 que le Longhorn construit jusqu’alors était annulé (avec des fonctionnalités ambitieuses comme WinFS) et que le projet repartait à zéro. Longhorn et Blackcomb fusionnèrent ainsi en Windows Vista qui sortit en janvier 2007.
Windows Vista fut un échec retentissant : jugé trop lent, trop gourmand en ressources, incompatible avec de nombreux périphériques, sans apporter des nouveautés réellement indispensables, Vista ne dépassa jamais les 30 % de part de marché. Le renouvellement de Windows XP n’a donc commencé que fin 2009, lorsque Windows 7 est apparu.
Mais même si Windows 7 n’a pas suscité le même rejet que Vista, il n’a pas rendu XP caduc. Alors que Windows 95 offrait une véritable rupture face à Windows 3.11, alors que XP offrait une stabilité incomparable face à 98 SE, 7 n’est qu’un XP peaufiné et modernisé (voir nos astuces). On peut faire tout autant sur un PC sous XP que sur un sous 7, car la plupart des nouveaux usages ne sont plus liés à l’OS PC : ils apparaissent dans le navigateur, via des services en ligne. Pire, le PC lui-même n’est plus au centre des préoccupations : l’ordinateur personnel est aujourd’hui le smartphone ou la tablette. Windows XP symbolise l’apogée du PC et avec lui de Microsoft.
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