Introduction
Après s’être révélée au public lors du Computex 2010, l’interface Thunderbolt d’Intel fut lancée sur le marché par Apple dans ses MacBook Pro en février 2011. C’était il y a plus d’un an. Depuis, nous avons connu un véritable raz-de-marée de périphériques Thunderbolt exploitant pleinement le potentiel de ce bus ultrarapide capable de faire transiter à la fois des signaux PCI-Express et des flux vidéo DisplayPort. Euh… non. En fait, mis à part les deux produits présentés au lancement – deux disques durs externes RAID Promise Pegasus et Lacie Little Big Disk – aucun produit Thunderbolt n’a été diffusé. Un an plus tard, examinons donc le potentiel de Thunderbolt au travers du test du Little Big Disk Thunderbolt SSD 240 Go de LaCie.
Thunderbolt : un rêve technolgique
Thunderbolt est une technologie très prometteuse. Mise au point par Intel, elle fut d’abord connu sous le nom de Light Peak. A ses débuts, il s’agissait d’une interface utilisant la bande passante très importante de la fibre optique pour réunir sur un seul câble de nombreux bus distincts. Cependant, l’immaturité des puces optiques ont poussé Intel à lancer une première implémentation commerciale de Light Peak sur des câbles en cuivre : voilà Thunderbolt.
Thunderbolt utilise un câble en cuivre dont les connecteurs cachent des composants actifs. La longueur de ces câbles ne peut excéder 3 m et pour le moment, seul Apple en vend (ils mesurent d’ailleurs seulement 2 m de long). Dans chaque périphérique Thunderbolt doit se trouver un contrôleur spécifique, fabriqué par Intel. Celui-ci est interfacé en PCI-Express avec le reste de la carte mère (ou plus précisément avec le processeur Sandy Bridge des iMac et MacBook Pro/Air).
La bande passante disponible est au maximum de 10 Gbit/s dans chaque sens, soit 20 Gbit/s sur un câble, pour les données PCI-Express. Par comparaison, l’USB 3.0 offre 5 Gbit/s. Mais en plus du PCI-Express, le câble Thunderbolt transporte aussi des signaux DisplayPort, avec une bande passante identique. On obtient donc une bande passante agrégée de 20 Gbit/s dans chaque sens sur un seul câble !
Le Thunderbolt offre en outre la possibilité de chaîner un maximum de 7 périphériques, y compris 1 ou 2 écrans ou des adaptateurs vers d’autres interfaces (USB, Firewire, SATA, etc.) en bout de chaîne. Enfin, Thunderbolt transporte une forte puissance électrique (10 W) suffisante pour alimenter un disque dur 3,5″ ou recharger un iPad.
Apple est pour le moment le seul vendeur de PC compatibles Thunderbolt. Sony aurait pu être le second, mais le japonais a choisi d’utiliser une variante plus proche des prototypes Light Peak : ses ultraportables Vaio Z peuvent se combiner à un dock externe (le Power Media Dock) via un câble optique, délivrant le même débit que Thunderbolt.
Cette absence d’un parc de machines compatibles explique sans doute la rareté des périphériques Thunderbolt. On peut aussi citer le prix de cette interface. Intel en étant le seul promoteur, il faut absolument une plateforme Intel et un contrôleur Intel. Par ailleurs, le mixage des signaux DisplayPort et PCI-Express sur un seul port impose d’utiliser un assez grand nombre de puces supplémentaires. Ce mixage peut, en outre, poser des problèmes d’implémentation aux fabricants de PC : comment gérer un port Thunderbolt sur une carte graphique externe ? Remarquons qu’Apple s’est pour le moment abstenu d’ajouter le Thunderbolt sur ses Mac Pro, les seuls Mac dont l’utilisateur peut modifier la carte graphique.
Aujourd’hui, quels sont les matériels Thunderbolt sur le marché ? Ils se comptent sur les doigts d’une main de panda :
- LaCie Little Big Disk et 2big
- Promise Pegasus R4 et R6, et SANLink
- Sonnet ExpressCard adapter
- Apple MacBook, iMac, Thunderbolt Display et câbles
- Seagate GoFlex Thunderbolt
- Western Digital My Book Thunderbolt Duo
Cette situation devrait tout de même s’améliorer dès le lancement des processeurs Intel Ivy Bridge. Intel l’a annoncé à plusieurs reprises, ce lancement marquera l’arrivée du Thunderbolt dans les PC. Même si on peut s’attendre à ce que seuls quelques modèles haut de gamme l’embarque, les volumes de machines compatibles devraient rapidement croitre. Par ailleurs, Intel lancera peu après les Ivy bridge un nouveau contrôleur Thunderbolt plus complet (Cactus Ridge), qui facilitera l’intégration dans les périphériques et limitera leur coût. Intel devrait aussi, enfin, proposer des câbles Thunderbolt en fibre optique.
Le Little Big Disk Thunderbolt
Alors que Promise a choisi d’attaquer le très haut de gamme avec un boitier à 6 ou 4 baies pour disques durs 3,5″, LaCie a dessiné un produit beaucoup plus compact. Le Little Big Disk, accueille seulement deux disques durs au format 2,5″. Il est commercialisé en quatre versions : 1 To (380 €), 1 To 7200 tr/min (460 €), 2 To (570 €) et SSD 240 Go (860 €). Prix auxquels il faut rajouter celui du câble Thunderbolt (50 €), non fourni par LaCie car vendu exclusivement par Apple et ses revendeurs agréés.
Le boitier reprend le design Neil Poulton vu chez LaCie depuis de longues années. Tout en aluminium, sa surface ondulée permet un bon refroidissement par convection naturelle.
La première surprise vient de la présence d’une alimentation externe. Ce petit bloc d’allure bon marché semble a priori inutile étant donné la capacité du port Thunderbolt à apporter 10 W de puissance. LaCie répond qu’il est malheureusement indispensable pour trois raisons :
- le LBD utilise deux disques. Dans le cas de disques durs 7200 tr/min, leur consommation maximale peut atteindre 5 W chacun en pointe. Les SSD 120 Go sont plus économes, mais ils peuvent demander 3 W chacun.
- la puce Thunderbolt Intel consomme elle même quelques watts, sans oublier la kyrielle de composants l’accompagnant comme nous le verrons plus loin. LaCie nous a indiqué avoir constaté une consommation totale pouvant atteindre des pointes à 15 W.
- Enfin, les câbles Thunderbolt sont eux-mêmes des composants actifs. Un seul câble peut nécessiter jusqu’à 3 W selon LaCie. L’alimentation externe est donc indispensable pour préserver la capacité de chaînage offerte par Thunderbolt.
Autre surprise : un minuscule ventilateur (2 cm) de diamètre. LaCie justifie sa présence par la volonté de ne pas prendre de risque avec la longévité des composants. Cette intention louable ne peut selon nous tout de même pas excuser un très mauvais design. D’une part, un ventilateur de 2 cm de diamètre doit tourner à très haute vitesse pour générer un courant d’air utile, ce qui se traduit nécessairement par un bruit aigu et ennuyeux. D’autre part le boitier est totalement dénué de prise d’air, on se demande donc où le ventilateur puise l’air frais censé rafraîchir les composants. Enfin, LaCie aurait dû intégrer une circuit de régulation permettant de baisser la vitesse du ventilateur en fonction de la température des composants.
Tous ces mauvais choix cumulés rendent le Little Big Disk pénible à l’usage. Notre sonomètre nous a livré les chiffres suivants : 33 dBA de pression sonore à 50 cm du boîtier, dans une pièce où le bruit de fond s’établit à 28,5 dBA. Autrement dit, le ventilateur génère à lui tout seul une nuisance de 4,5 dBA. Et encore, ces chiffres ne traduisent pas le caractère aigu et grésillant du bruit, plus fatiguant qu’un son grave.
Une solution – plutôt un bricolage – existe heureusement : le simple fait d’ouvrir le boitier pour laisser respirer le ventilateur permet de gagner 2 dBA en le faisant tourner à plus basse vitesse. À défaut, il est possible d’éloigner le Little Big Disk loin de l’utilisateur : les câbles Apple Thunderbolt mesurent 2 m !
Démontage
Nous n’avons bien entendu pas pu résister à l’envie d’examiner les entrailles de Little Big Disk Thunderbolt. L’ouverture – qui annule la garantie – est très aisée. Après avoir enlevé le pied et les coques avant et arrière, on peut sortir le bloc réunissant le PCB et les SSD.
On voit tout de suite que le PCB et les SSD sont en contact avec une épaisse plaque d’aluminium, qui touche elle-même le boîtier. Voilà qui doit garantir une bonne conduction de la chaleur vers l’extérieur. Les deux SSD ne révèlent aucune surprise : ce sont des Intel 320 Series 120 Go. Le PCB est plus intéressant.
La plus grosse puce est le contrôleur Intel Thunderbolt. Cette puce est la seule à faire contact avec la plaque d’aluminium médiane, signe que c’est celle qui nécessite le plus fort refroidissement. On trouve à ses côtés un parterre de puces Parade : des multiplexeurs/démultiplexeurs des signaux vidéos DisplayPort et HDMI également transportés sur le câble DisplayPort en plus des signaux PCI-Express. Grâce à elle on peut connecter un écran supplémentaire sur le Little Big Disk Thunderbolt. Ces multiples puces expliquent en partie le coût élevé des produits Thunderbolt.
La dernière puce intéressante est le contrôleur SATA. Il s’agit d’un Marvell 9182SE, un contrôleur SATA 6 Gbit/s deux ports. Et pourtant les deux ports SATA internes sont SATA 3 Gbit/ seulement. Un tel bridage peut sembler curieux : avec des ports SATA 6 Gbit/s et des SSD suffisamment rapides, LaCie aurait pu sortir un produit atteignant 1 Go/s de débit. Au lieu de ça, le Little Big Disk Thunderbolt ne dépasse pas 480 Mo/s en lecture avec deux SSD, une vitesse qu’on peut dépasser avec un seul SSD 6 Gbit/s.
L’explication fournie par LaCie est que le fonctionnement n’était pas stable en SATA 6 Gbit/s, tout simplement. On peut espérer que le constructeur lance une future version corrigée de son Little Big Disk tirant pleinement parti du potentiel de l’interface.
La plus grosse absence que l’on note est celle d’un puce RAID. Hé oui : le Little Big Disk Thunderbolt s’appuie sur une gestion entièrement logicielle du RAID. Cette solution a ses avantages : il est très facile de configurer la grappe RAID directement dans l’OS (via l’utilitaire de disque d’OS X) sans redémarrage ni logiciel tiers à installer. Le RAID logiciel préserve également la compatibilité avec la commande TRIM (le TRIM n’est toutefois activé que sur les SSD Apple). En contrepartie, le RAID logiciel met donc à l’épreuve la puissance du CPU. Nos tests effectués sur un iMac 27″ équipé d’un Core i7 2600 ont montré un taux d’occupation allant jusqu’à 10 % en écriture. Sur une machine moins puissante comme un MacBook Air, l’utilisation du RAID Thunderbolt se fera encore plus sentir.
Fiabilité face aux interférences
LaCie n’est pas le seul vendeur de disques Thunderbolt. Il partage ce privilège avec Promise, qui s’adresse à des clients encore plus exigeants avec sa gamme Pegasus. Or certains utilisateurs de ces DAS à 5 baies ont souffert de problèmes gênants : leur disque se déconnectait aléatoirement sans raison apparente. Certaines victimes de ce bug ont fini par accuser les interférences entre les signaux des téléphones portables à proximité du câble ou du DAS, sur la bande des 900 MHz plus précisément. Entourer le câble de papier d’aluminium suffirait à éliminer les déconnexions intempestives.
Curieux, nous avons cherché à reproduire ce bug sur le LaCie. Nous avons donc collé d’un iPhone 3GS bloqué en 2G 900 MHz sur le câble, puis sur chaque connecteur, tout en passant des appels. Aucune déconnexion n’est survenue. Nous alors répété l’expérience une fois le boîtier du Little Big Disk ouvert et le PCB mis à nu. Les déconnexions devinrent systématiques dès que le téléphone s’approchait du port Thunderbolt du Little Big Disk.
Cette petite expérience suffit à accréditer la thèse d’interférences entre les signaux GSM et les signaux Thunderbolt. Heureusement, la carcasse métallique du Little Big Disk protège convenablement le contrôleur et les connecteurs. On peut espérer que les futurs câbles optiques soient immunisés contre ces interférences électromagnétiques.
Le Little Big Disk sous Mac OS X
Les performances
Nos tests de performances furent effectués sur un iMac 2011 : Core i7 2600 à 3,4 GHz, 12 Go de DDR3, Radeon HD 6970M 1 Go, disque dur 1 To, Mac OS 10.7.3. La source des écritures et lectures était un ramdisk afin d’éliminer tout goulet d’étranglement. Les débits mesurés sont la moyenne obtenue sur 5 essais successifs.
Les perfomances des SSD Intel 320 Series 120 Go ne nous sont pas inconnues, nous avons déjà eu l’occasion de les explorer en détail (cf. notre comparatif Crucial C400/M4, Intel SSD 320/510, OCZ Vertex 3 : la guerre des SSD). Nous avons simplement mesuré ici la bande passante maximale que l’on pouvait atteindre sur le bus Thunderbolt, en copiant des fichiers vidéos incompressibles Excel de et vers le Little Big Disk. Nous avons confirmé ces essais avec le benchmark AJA System Test.
Les résultats sont à la hauteur – et même un peu au-delà – des prétentions de LaCie. En lecture nous avons mesuré presque 492 Mio/s. En écriture : 246 Mio/s. AJA System Test a retourné des résultats compris entre 498 Mo/s et 478 Mo/s en lecture et entre 232 et 253,5 Mo/s en écriture. LaCie revendique 480 Mo/s et 245 Mo/s en écriture.
En chaîne
Nous avons également vérifié quelles performances il était possible d’atteindre en chaînant deux Little Big Disk Thunderbolt. Afin de cumuler les débits, il faut alors configurer les 4 SSD en une seule grappe RAID0. Dans ce cas, nous avons constaté une limite à 655,6 Mio/s en lecture et 454 Mio/s en écriture. Nous sommes bien loin de la saturation du bus Thunderbolt (10 Gbit/s dans chaque sens, avec 20 % de perte due au codage 8b/10b, donc 1 Gio/s). LaCie a constaté l’existence de cette limite (mais la place plutôt autour de 800 Mo/s) sans pouvoir l’expliquer.
Afin de déterminer si le goulet d’étranglement se situait au niveau de notre iMac ou du Little Big Disk, nous avons branché un LBD sur chaque port Thunderbolt de l’iMac. Dans ce cas, on obtient bien un débit cumulé double de celui d’un seul Little Big Disk (soit près de 1 Gio/s si l’on crée une seule grappe RAID). C’est donc le chaînage qui provoque la perte de débit.
Sous Windows
Depuis la sortie de Boot Camp, il est très facile d’installer Windows sur n’importe quel Mac à processeur Intel. Toutefois, le Thunderbolt est une technologie encore immature et plusieurs limitations ou dysfonctionnements rendent difficile l’utilisation du Little Big Disk sous Windows.
Tout d’abord, il n’est pas possible d’installer Windows sur un disque Thunderbolt. Il n’est pas non plus possible de brancher ou débrancher à chaud un disque Thunderbolt, sous peine de provoquer un écran bleu. Pire encore, la grappe RAID créée sous Mac OS X n’est pas lisible par Windows. Impossible donc de jongler entre les deux systèmes et d’échanger des fichiers.
Enfin, il nous a été impossible de brancher nos deux Little Big Disk simultanément, que ce soit à la chaîne l’un derrière l’autre ou chacun sur un port Thunderbolt. Chacune de nos tentatives s’est soldée par un écran bleu. Interrogé, LaCie nous a répondu que l’utilisation du Little Big Disk Thunderbolt sous Windows n’était pas supportée officiellement.
Dont acte. Néanmoins, nous avons réussi à utiliser un seul Little Big Disk. Après un rapide reformatage de la grappe RAID via le gestionnaire de disques de Windows 7, nous avons pu les utiliser comme sous Mac OS X. Cependant, après quelques jours d’utilisation et des redémarrages avec ou sans le Little Big Disk, Windows ne l’a plus reconnu. Il nous a fallu réinstaller les pilotes Boot Camp pour retrouver un fonctionnement normal
Nous ne saurions donc trop vous recommander de ne pas tenter l’aventure sous Windows, les risques étant trop grands.
Conclusion
Après un an d’existence, Thunderbolt ne nous apparaît toujours pas comme une technologie mature. Au contraire, elle a tout de la technologie en devenir : peu de machines compatibles, très peu de périphériques disponibles, des prix encore très élevés, des incompatibilités logicielles profondes.
Pourtant si on se limite au cas idéal, un Mac récent et un disque dur très rapide, le Thunderbolt offre un potentiel énorme : celui d’avoir un stockage externe plus rapide que l’interne. D’ailleurs les derniers produits annoncés signent très nettement la fin du règne du SATA : les nouveaux SSD utiliseront le PCI-Express et donc le Thunderbolt en externe.
Le Little Big Disk Thunderbolt de LaCie est donc à considérer pour ce qu’il est : un précurseur, l’un des seuls produits disponibles au lancement du Thunderbolt. À ce titre on peut lui pardonner des erreurs de jeunesse : un contrôleur SATA qui bride inutilement les débits, un coût très élevé et un design perfectible. Nous prions pour que la prochaine mouture abandonne son ennuyeux ventilateur. Le Little Big Disk Thunderbolt nous a également un peu déçu en ne tirant pas totalement parti de la bande passante de son bus lorsqu’on l’utilise en chaîne. Cependant, LaCie n’est pas forcément à blâmer, la faute incombe peut-être au contrôleur Intel.
Les mois à venir seront très intéressants pour Thunderbolt. Ces dernières semaines ont connu de nombreuses annonces (cartes mères ou PC portables compatibles, nouveaux SSD, adaptateurs et même lecteurs de bandes) ; l’écosystème Thunderbolt va s’élargir rapidement. Par ailleurs, Intel a promis de nouveaux contrôleurs permettant de faire baisser le coût des produits et même de nouveaux câbles utilisant de la fibre optique à la place du cuivre. Cette année devrait donc voir le Thunderbolt sortir de la niche où il est pour l’instant cantonné.