L’histoire réelle de la réalité virtuelle

Image 1 : L'histoire réelle de la réalité virtuelle

Un vieux rêve en passe de devenir réalité

Face à l’essor des casques de réalité virtuelle (VR), il y a ceux qui s’enthousiasment devant la révolution à venir et il y a ceux qui haussent les épaules, sceptiques. Ne voyez pas chez ces derniers un éternel pessimisme, ils sont simplement sans doute assez vieux pour avoir connu le premier boom de la VR dans les années 90 et ont juré qu’on ne les y reprendrait plus. Hé oui, la VR sous ses atours futuristes est en fait une technologie prenant ses racines dans les années 1950. À quelques semaines de la sortie publique des Oculus Rift et HTC Vive, laissez-nous vous conter l’histoire de leurs ancêtres.

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1955 – Le Sensorama

L’idée de plonger un être humain dans un environnement virtuel est bien difficile à dater, mais l’un des premiers à avoir essayé de la mettre en pratique fut Morton Heilig. En 1955, ce cinéaste exposa sa vision d’un appareil multisensoriel. Après quelques années de travail, il présenta un prototype fonctionnel en 1962, le Sensorama. Cet appareil entièrement mécanique ressemble à une grosse borne d’arcade. Il se compose d’une chaise simulant des mouvements, d’un écran stéréoscopique à large angle de vue et de haut-parleurs stéréo. Il possède même une soufflerie pour recréer les effets du vent et un diffuseur de parfum. Trop en avance sur son temps, le Sensorama n’a pas convaincu les investisseurs de l’époque et ne fut jamais commercialisé.

Vous pouvez le voir en action dans cette interview vidéo de son créateur.

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1961 – Philco Headsight

Peut-être inspirés par le projet de Heilig, deux ingénieurs de l’entreprise américaine Philco inventèrent ce qui est considéré comme le premier casque stéréoscopique, le premier Head Mounted Display (littéralement l’écran monté sur la tête), le Headsight. Il avait été conçu pour la vidéosurveillance. Le Headsight relayait donc sur la tête de l’opérateur les images d’une caméra installée dans une pièce adjacente. Il utilisait un seul tube cathodique et un système magnétique de suivi des mouvements : la caméra distante bougeait en même temps que la tête de l’opérateur. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler d’un casque de réalité virtuelle, puisque les images visualisées étaient réelles, mais les fondements techniques étaient là.

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1965 – L’Ultimate Display HMD

Le véritable premier casque de réalité virtuelle fut inventé par Ivan Sutherland entre 1965 et 1968, à l’université de l’Utah. Le chercheur décrivit son concept d’écran ultime (Ultimate Display) en 1965 et lui donna corps en 1968. L’appareil utilisait deux tubes cathodiques (un pour chaque oeil) et des éléments optiques afin de projeter devant les yeux de l’opérateur des images générées par ordinateur. Les éléments optiques choisis permettaient de voir la réalité en surimpression des images 3D – il s’agissait donc plus d’un casque de réalité augmentée que de réalité virtuelle. L’équipement nécessaire était tellement encombrant et lourd qu’il était déporté. Deux versions du casque furent construites. La première était fixée par un bras accroché au plafond, ce qui valut au prototype le surnom d’épée de Damoclès (en vidéo ici). L’autre était plus mobile, car le suivi des mouvements était assuré par des émetteurs à ultrasons.

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1982 – L’Atari Reserach Lab

Atari, alors à son apogée, fonda en 1982 un laboratoire de recherche qui allait lancer la carrière de nombreux pionniers de la réalité virtuelle, dont Jaron Lanier (ci-contre) et Thomas Zimmerman. Ce dernier invente en 1982 le DataGlove, un gant capable de traduire le degré de flexion des doigts en signaux électriques grâce à des fibres optiques glissées dans les mailles. Peu de temps après, le crash de l’industrie du jeu vidéo força Atari à fermer ce laboratoire. Lanier  et Zimmerman fondèrent en 1984 leur propre société, VPL Research, qui commercialisa le DataGlove, puis un autre appareil essentiel, l’EyePhone.

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1982 – Le Super Cockpit

Parallèlement à l’industrie du jeu vidéo, un autre acteur s’est montré très vite intéressé par la réalité virtuelle : l’armée. Ainsi, dans les années 1970, l’ingénieur Thomas Furness a travaillé pour l’armée de l’air américaine à l’application d’écrans d’ordinateur dans les cockpits. En 1982, ses travaux aboutissent sous la forme du Super Cockpit, ou VCASS (Visually Coupled Airborne Systems Simulator), ou encore Darth Vader, à cause de sa ressemblance avec le masque du célèbre seigneur Sith. Cet énorme appareil avait pour but de simplifier le pilotage des avions de combat en présentant aux pilotes les informations cruciales sous une forme simplifiée. Il captait aussi les mouvements de la tête et acceptait des commandes vocales.

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1985 – NASA VIEW

La NASA s’intéressa elle aussi très tôt à la réalité virtuelle. En 1985, elle montra son VIEW, Virtual Interface Environment Workstation. C’était un système utilisant un casque de réalité virtuelle stéréoscopique, aux systèmes optiques fournis par la société LEEP optics, qui commercialisa par la suite ces propres casques CyberFace. Le VIEW offrait un angle de vue vertical de 120° grâce à deux écrans LCD de 2,7 pouces de diagonale. Le casque était complété par un système de reconnaissance vocale et par des gants Dataglove fournis par VPL research.

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1987 – Star Trek Holodeck

À mesure que les labos de recherche faisaient des progrès remarquables, l’idée de la réalité virtuelle faisait-elle son chemin vers un public plus large. En 1987, deux événements vont contribuer à la populariser. D’une part, Jaron Lanier, consacra le terme virtual reality.

D’autre part, l’holodeck fait son apparition dans la série télévisée Star Trek. Libres de toutes contraintes techniques, les scénaristes de Star Trek ont fait de l’holodeck un environnement magique, où l’on peut se promener dans un environnement artificiel fait d’hologrammes que l’on peut toucher. Un jour peut-être…

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1989 – Nintendo Power Glove

1989 marque les débuts de la réalité virtuelle grand public. Nintendo lance son Power Glove, un gant électronique développé grâce à l’aide de Tom Zimmerman et Jaron Lanier, les inventeurs du DataGlove. Le Power Glove en est une version très allégée. Au lieu de pouvoir reconnaître 256 positions pour chaque doigt, il n’en mesure que 4. De même, il ne peut détecter que les mouvements de la main sur deux plans : le roulis et le lacet, mais pas le tangage. En revanche, il possède une manette intégrée sur le poignet, dont le DataGlove est dépourvu. Trop limité, desservi par les jeux prévus pour en tirer parti, le Power Glove fut un échec.

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1993 – SEGA VR

Dans les années 90, l’ennemi juré de Nintendo était SEGA. Au CES de 1993, SEGA présenta un produit révolutionnaire, le SEGA VR. Le groupe japonais avait conçu un casque de réalité virtuelle séduisant sur le papier. Il intégrait des écrans LCD, des capteurs inertiels pour mesurer les mouvements de la tête et devait sortir à l’automne 1993 pour seulement 200 $. Quatre jeux étaient prévus pour le lancer, dont une adaptation du célèbre Virtua Racing. Malheureusement, SEGA abandonna son projet en cours de route et le SEGA VR ne fut jamais commercialisé.

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1995 – Nintendo Virtual boy

Voici sans doute le plus gros échec de la courte histoire de la réalité virtuelle. En 1995, Nintendo lance en très grande pompe son Virtual boy, une console prenant la forme d’un casque de réalité virtuelle. Les vidéos promotionnelles sont dithyrambiques. La réalité sera beaucoup plus cruelle. Le Virtual boy permet bien d’afficher un environnement virtuel. Mais il cumule d’énormes défauts. D’une part, il n’affiche qu’en rouge et noir. D’autre part la résolution de ses écrans est très insuffisante. Et surtout son ergonomie est déplorable : trop lourd pour être porté sur la tête, le Virtual boy repose sur un pied. Il n’y a donc aucun suivi des mouvements. Les utilisateurs souffrent de maux de tête ou de nausées. Au final, il ne sera vendu qu’à 770 000 unités, le pire score d’une console Nintendo, et surtout il aura dégoûté toute une génération de joueurs.

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2012 – Oculus Rift, la révolution

La déception engendrée par les casques ratés des années 90 est si forte que plus personne ne va parler de réalité virtuelle pendant plus d’une décennie. Mais loin des yeux du grand public, certains passionnés continuent d’y croire. Parmi eux, un certain Palmer Luckey, adolescent ingénieux qui occupe son temps à bricoler des casques dans le garage de ses parents et à en discuter sur un forum spécialisé. Sa passion le pousse à vouloir monter sa société et la chance veut que John Carmack, l’illustre développeur du jeu Doom, soit membre du même forum. Luckey lui envoie un prototype. Carmack est impressionné au point qu’il réalise une démonstration du casque pendant l’E3 2012. Juste après ce coup d’éclat, l’Oculus Rift débarque sur la plateforme de financement participatif Kickstarter. Les investisseurs affluent et Oculus récupère plus de 2 millions de dollars, au lieu des 250 000 visés. La réalité virtuelle fait à nouveau rêver !

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2013 – Virtuix Omni

L’enthousiasme suscité par l’Oculus Rift a rapidement cédé la place au doute et aux reproches. Car ce casque ne résout qu’une partie du défi posé par la réalité virtuelle : l’utilisateur voit un environnement artificiel, mais il ne peut pas s’y déplacer naturellement. C’est là qu’intervient le Virtuix Omni. Ce tapis roulant omnidirectionnel laisse l’utilisateur marcher librement et naturellement dans son univers virtuel, sans risque de rencontre impromptue avec un mur. Lancé également via Kickstarter en 2013, le Virtuix Omni fut un succès instantané, récoltant plus de 1 million de dollars au lieu des 150 000 demandés. Il est aujourd’hui en précommande, au prix de 699 $ (hors taxes).

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2014 – Sony PlayStation VR

Sans crier gare, Sony se jeta dans la course à la VR dès mars 2014, en dévoilant son projet Morpheus pendant la Game Developers Conference. Il changea de nom en cours de développement pour s’appeler PlayStation VR, un nom qui décrit bien son but : ce casque doit servir de périphérique à une PlayStation 4. À cause de ce choix, sa définition reste limitée à 1920 x 1080 pixels au total. Mais Sony vise un taux de rafraîchissement très élevé de 120 Hz. En outre, le suivi des mouvements est assuré par la caméra de la console. Le PlayStation VR sera commercialisé cette année, pour un prix encore incertain.

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2014 – Facebook rachète Oculus VR

Quelques jours à peine après que Sony a dévoilé son Morpheus, Facebook lui vole la vedette en annonçant le rachat surprise d’Oculus VR pour la bagatelle de 2 milliards de dollars. Ce rachat provoqua la colère de nombreux supporters de la première heure d’Oculus. Tout à coup, le petit Kickstarter sympa devenait un énorme projet industriel. Les backers ne devaient-ils pas se voir remboursés leurs fonds maintenant qu’Oculus VR était parfaitement financé ? Le Rift allait-il y perdre son âme ? Ou bien cette formidable puissance financière serait-elle exactement ce dont la jeune société avait besoin pour mener son projet à terme ?

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2014 – Google Cardboard

Oculus, Morpheus… tous ces casques ont un point commun : ils coûtent chers. Or le prix est un obstacle majeur à l’avènement d’une nouvelle technologie. À la Google I/O de 2014, Google a montré une solution choquante de simplicité. Le Google Cardboard est un casque de réalité virtuelle en carton ! Enfin, pas tout à fait. Si la coque est bien en carton, elle cache un système optique en verre et surtout, ce n’est qu’une coquille vide : il faut lui adjoindre un smartphone. Les possibilités offertes et la qualité de l’affichage sont donc sans commune mesure avec les promesses de l’Oculus Rift. Mais le Cardboard est une alternative élégante et accessible qui pourrait bien aider à démocratiser la VR.

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2014 – Samsung Gear VR

Le troisième acteur majeur à s’être lancé sur le terrain de la réalité virtuelle au cours de 2014 fut Samsung. Partenaire d’Oculus pour la fabrication des écrans OLED très rapides nécessaires au Rift, Samsung a décidé d’explorer un créneau encore inoccupé. Présenté à l’IFA 2014, son Gear VR est à mi-chemin entre l’Oculus et le Cardboard. De l’Oculus, il reprend les capteurs pour le suivi de la tête et la gestion d’une haute fréquence de rafraîchissement. Mais l’écran du Gear VR est un smartphone glissé à l’intérieur (un Samsung, évidemment), comme sur le Cardboard. Grâce à ce “détail”, il est aussi bien moins cher. Le Samsung Gear VR 2 est commercialisé depuis novembre 2015 pour seulement une centaine d’euros.

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2015 – Razer OSVR

L’Oculus a beau être prometteur, il s’agit d’un objet fermé, dont la conception et la modification ne sont que le fruit d’une société privée. Il existe donc un besoin pour une alternative libre de droits. Au CES 2015, Razer – plus connue pour ses souris et claviers – a rempli ce besoin en officialisant son projet OSVR. L’OSVR vise à créer non seulement une plateforme matérielle open source, mais aussi l’ensemble des logiciels nécessaires. Un premier kit de développement est disponible à l’achat depuis juillet 2015. Ce casque comporte un écran OLED de 5,5″ affichant 2160 x 1200 pixels (soit 1080 x 1200 pour chaque œil), des gyroscopes et accéléromètres plus une caméra infrarouge pour le suivi des mouvements. Leap Motion s’est associé au projet : son capteur intégré sur le casque doit permettre de manipuler des objets virtuels via des gestes naturels. L’OSVR est pour le moment disponible uniquement aux USA sous la forme d’un kit de développement. Il coûte 300 $.

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2015 – HTC Vive

Le dernier casque a être apparu n’est pas le moins intéressant. En février 2015, à l’occasion du Mobile World Congress, HTC présenta son Vive. Développé en partenariat avec l’éditeur de jeux Valve, le Vive est équipé des mêmes technologies que le Rift. Et pour cause : Valve fut un des partenaires essentiels d’Oculus avant son rachat par Facebook. Le Vive contient deux écrans de 1080 x 1200 pixels, rafraîchis à 90 Hz. Il est aussi équipé d’une multitude de capteurs pour assurer un suivi des mouvements de la tête. Enfin, HTC a intégré une fonctionnalité pour l’instant unique : une caméra fixée sur le casque permet d’intégrer dans l’univers virtuel des images d’objets réels présents devant le porteur du casque. Sa sortie est prévue pour le mois d’avril.