Coup de tonnerre, en 1993. Popularisant immédiatement les lecteurs de CD-ROM qui constituaient une franche nouveauté à l’époque, Myst imposait un nouveau type de gameplay et de rendu photoréaliste. Vingt-huit ans plus tard, il profite du DLSS/FSR et du ray-tracing pour en sublimer, une ultime fois, des énigmes qui ont su poser les bases d’une nouvelle génération de jeux vidéo.
C’est une petite lucarne découpée dans un mur bleu nuit, contre lequel sont fixés deux casques, dans les salles d’un musée. Une invitation visuelle et sonore à plonger dans une œuvre d’art, à percer les intentions de ses créateurs et à en sortir transformé comme au contact d’une toile de maître. Cette installation n’est pas celle d’un tableau de Botticelli, de Rembrandt ou de Monet. Un panonceau en révèle la nature. « Rand Miller, Robyn Miller. Myst. 1993 ».
Nous sommes dans une salle de l’exposition permanente « Applied Design », au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Myst fait partie des quatorze jeux vidéo sélectionnés pour en ouvrir le bal, en novembre 2012, aux côtés de Pac-Man, Tetris, The Sims et Another World, rejoints depuis par Asteroids, Pong, Minecraft, Space Invaders ou Street Fighter II. C’est dire son pedigree et son apport au panthéon vidéoludique. À sa parution, le 24 septembre 1993 sur MacOS puis sur PC, il déclenche une vague frénétique d’achats de lecteurs de CD-ROM, le périphérique franchement nouveau et innovant, qui complète alors à ravir les 486 DX2-66 qui constituaient le haut du panier de l’époque. Pendant près de dix ans, jusqu’en 2002, Myst détient le record des ventes des jeux PC, avant d’être rattrapé par un certain The Sims.
Tirer le meilleur parti des technologies de l’époque
Au-delà de l’adoption en tant que pionnier d’un nouveau support, le CD-ROM, Myst est aussi un phénoménal passage de relais entre deux époques, celle des jeux en Big Box développés avec une équipe (ultra) réduite et les sagas spectaculaires qui en prendront la relève et qui s’en inspireront, le titre des frères Miller ayant même donné naissance à un genre, les Myst-like. C’est-à-dire des jeux pétris d’une atmosphère onirique, où l’on tâtonne, teste et tergiverse devant des mécanismes et puzzles, déroulant peu à peu l’histoire et l’intrigue comme un cliché qui se dévoile au contact du révélateur.
Mais si Myst a autant marqué les âges, c’est aussi parce qu’il hissait de plusieurs crans le rendu graphique de l’époque. À partir de 1988, les deux frères Miller se sont penchés sur HyperCard, un kit de développement signé Apple pour des productions interactives, introduisant plusieurs concepts qui prendront leur sens avec l’essor du Web, comme les liens hypertextes. Ils en ont alors exploité le plein potentiel pour des créations destinées aux enfants, comme The Manhole (1988), Cosmic Osmo (1989) et Spelunx (1991). Maîtrisant mieux la plate-forme, ils ont l’ambition de développer un titre pour adultes, en puisant notamment leur inspiration dans les œuvres de Jules Verne, comme L’Île Mystérieuse (1875). Ils ébauchent sur papier des mécanismes, des rouages et des puzzles en les associant à autant d’atmosphères (la forêt, les bateaux ou la mécanique steampunk) qui s’en nourrissent et les justifient.
Techniquement, Myst pousse les frontières de l’époque alors qu’il reste développé par une équipe très réduite. Il puise également dans tout l’arsenal logiciel et matériel disponible, en étant développé principalement sur des Macintosh Quadras, avec des environnements bâtis sous StrataVision 3D, des modèles créés avec Macromedia MacroModel, des images retouchées sous Adobe Photoshop 1.0 et des séquences vidéo compressées avec QuickTime, avec les deux frères qui interprètent directement le rôle des personnages filmés. Le rendu de chaque image du jeu prend 48 heures de traitement sur les machines de l’équipe. Co-financé par l’éditeur japonais Sunsoft à hauteur de 265 000 dollars (le jeu en coûtera le double, au final), alors spécialisé dans les titres NES, PC-Engine et Mega Drive, Myst n’avait qu’un seul mot d’ordre de la part de son commanditaire : rivaliser au moins techniquement avec The 7th Guest, l’un des premiers titres sur CD-ROM développé à la même époque par Trilobyte.
À titre personnel, je garde un souvenir très vivace du bouleversement qu’a provoqué Myst sur le marché. C’était donc en 1993, j’ai convaincu mes parents de l’intérêt d’acheter cette Big Box révélant les contours de l’île principale du jeu. Pour 1100 francs de l’époque, nous sommes repartis de la Fnac Micro du boulevard Saint-Germain, à Paris, avec cette belle boîte et un lecteur de CD-ROM Mitsumi 1x, avec un épais tiroir qui se dégageait de la baie 5,25 pouces lorsqu’on le pressait. Il nous aura fallu plus de six mois, à ma mère et moi, pour venir à bout des énigmes, médusés par cet univers franchement nouveau face aux Point’n Click que l’on adorait pourtant, et griffonnant quantité de carnets au contact d’un schéma, d’un plan ou d’un indice révélé au cours des parties. Le jeu hantait nos discussions, loin de l’écran, testant l’un envers l’autre des pistes de réflexion face à un bol de céréales. La Big Box s’accompagnait d’un manuel cacheté, à n’ouvrir qu’en cas d’indéfectible errance, qui révélait de précieux détails pour nous mettre sur la voie. Nous n’avons pu résister à en briser le sceau. Autant vous dire que sa revente sur eBay, aujourd’hui, nous en pénaliserait !
Un environnement qui agit également comme un benchmark au fil des âges
Puisqu’il était si novateur et bien conçu, Myst a déjà évidemment fait l’objet de multiples remakes. Une suite immédiate a vu le jour en 1997, Riven, suivi d’un troisième épisode développé par une autre équipe, Presto Studios, en 2001, Exile. Il s’agissait d’ailleurs du premier titre de la série autorisant une vue à 360 degrés autour de chaque “vue photoréaliste”, les épisodes précédents enchaînant de purs “clichés” à chaque clic, avec un angle de vue prédéfini. En 2004, Ubisoft s’empare de la saga et la complète avec Revelation. Un ultime épisode, End of Ages, a été à nouveau développé par l’équipe des frères Miller en 2005.
En parallèle, le premier épisode est ressorti en mai 2000 sous le titre Myst: Masterpiece Edition, avec des images en couleurs 24-bits au lieu de la palette de 256 couleurs de l’époque. En janvier 2002, realMyst: Interactive 3D Edition introduit la vraie possibilité d’avancer dans les environnements et de tourner librement la caméra. Une évolution technologique qui met à mal bon nombre de PC de l’époque. Le 10 décembre 2020, Cyan publie un ultime remaster en réalité virtuelle (VR) en ciblant principalement les Oculus Quest parmi les casques du marché. C’est précisément ce titre qui fait aujourd’hui l’objet d’une ressortie en version “2D”, depuis le 26 août 2021. Myst est à nouveau disponible sur Steam (24,99 €) et se voit aussi intégré à l’offre Xbox Cloud Gaming.
Et là encore, vingt-huit ans plus tard, cette refonte à des goûts de pur benchmark, dans la mesure où elle introduit la compatibilité avec le ray-tracing et les options de DLSS/FSR, sans évidemment en retoucher fondamentalement le déroulement ni les énigmes. Un vrai grand écart technologique, qui rappelle celui réalisé à l’origine vis-à-vis des autres productions de l’époque ! Au premier lancement, vous êtes d’ailleurs invité à choisir entre la version d’origine (comprenez : à défaut du bouche-à-oreille de l’époque, vous serez en mesure de suivre les Let’s play sur YouTube si vous êtes coincé) ou une version aléatoire (comprenez : même si vous connaissez le titre par coeur, vous ne pourrez pas battre le record du monde de speedrun, en 37s586ms).
Dès les premiers pas sur cette île pétrie de mystères et inoccupée, vous profitez ainsi d’une infinie liberté qui échappait à l’épisode d’origine. Libre à vous d’ausculter le ciel et les herbes hautes, les rouages dans leur moindre détail ou les flots qui battent contre le quai. Au clavier, à la souris ou au casque VR, vous pouvez ainsi en explorer le moindre brin d’herbe. Du côté du rendu, on est évidemment sur un vrai rehaussement des caractéristiques d’origine.
En 2021 toujours, même s’ils ont un peu pris la poussière (et c’est finalement dans l’esprit de l’île de Myst) face aux interactions plus poussées des dernières productions, les mécanismes et puzzles fonctionnent toujours. Pour qui ne les a jamais expérimentés, c’est une franche découverte de leur innocente difficulté. Pour ceux qui les connaissent par cœur, c’est une redécouverte qui convoque tant la mémoire visuelle qu’auditive, sublimées par la surenchère technologique. Le jeu a été entièrement reconstruit, pièce par pièce, avec le moteur Unreal Engine 4.
S’il faut bien être bégueule quant au fait que le titre ressort pour la quatorzième fois, si l’on compte tous ses supports au fil des âges (attention : Skyrim est sur la brèche pour en égaler le record, voire l’a peut-être déjà dépassé : le Guiness Book est sur l’affaire), on admettra que les effets RTX ne sont pas aussi exceptionnels qu’escomptés et ne changent pas fondamentalement le rendu. Nous l’avons testé sur une GeForce RTX 3070 Ti, avec et sans effet ray-tracing, et le rendu ne changeait pas énormément, tant sur les ombres que l’éclairage, à l’extérieur comme dans les salles tapies dans les roches et les décombres. En revanche, l’activation du DLSS autorise vraiment une montée en FPS si l’on augmente la définition, jusqu’au 4K UHD : un point particulièrement utile si vous envisagez de faire l’aventure, un casque de réalité virtuelle vissé au crâne.
On ne peut pas non plus passer sous silence une certaine forme de paresse, hélas, dans ce remake. Tous les textes apparaissant à l’écran, en particulier ceux des livres que l’on est invités à effeuiller, sont maladroitement recouverts d’une traduction en Arial 16pt, en lieu et place de la belle police cursive en D’ni. Les visages des frères Miller, qu’ils avaient de manière amateur impliqués dans l’incarnation de Sirrus, Achenar et Atrus à l’origine, ont été remplacés par de la modélisation 3D un peu primitive. Le plaisir n’est nullement gâché, mais entache un peu le niveau de rendu. À l’heure actuelle, il n’est pas non plus possible de modifier le keybinding du jeu au clavier – vous devrez vous contenter d’un déplacement WASD propre aux claviers QWERTY, une hérésie par rapport au ZQSD qu’opposent nos claviers AZERTY. Nous sommes en 2021 et, pourtant, le jeu maintient des relents des années 90. En revanche, il introduit l’intéressante possibilité de prendre en photo n’importe quel moment du jeu, pour mieux capturer et reparcourir des indices, à défaut de les griffonner sur papier.
Pour autant, Myst a franchement droit de citer en 2021. Proposé à un tarif relativement modique, il offre une vraie aventure à qui ne l’a jamais connue à l’époque, avec des mécanismes et des puzzles qui ont su résister à l’épreuve du temps. Ce n’est peut-être plus le vrai mètre-étalon de notre époque, mais il offre la possibilité de confronter nos souvenirs avec le nouvel arsenal technologique de l’ère actuelle. Et il démontre, si c’était nécessaire, que nous faisons face à un grand jeu, qui sait résister à l’épreuve du temps.
J’ai acheté le jeu dernièrement et j’ai redécouvert myst en Vr. Je n’y était pas revenu depuis les années 90. Quelle claque. Les sons, les musiques, le graphisme… On se retrouve direct dans ce lieu étrange. On oublie jamais sa première visite sur Myst tant son univers est unique. Cette ambiance folle qu’on avait découvert dans les années 90 est toujours là, sublimé par la technique. Myst reste un grand jeu.
À noter que depuis la sortie un patch officiel est sorti permettant de remplacer les images 3d par les vidéos de l’époque. Je précise également que j’ai un bug d’affichage sur la traduction à un moment donné. Je me retrouve avec un panneau noir en 2d. Un peu tache quand on est en vr.
Sinon ça reste génial à découvrir et peut être même encore plus quand on redécouvre le jeu!
Rien de plus facile que de remplacer la police de caractère Arial : il suffit de la localiser dans le dossier du jeu avec l’outil de recherche de l’explorateur Windows. Ensuite, la remplacer par la police D’Ni renommée Arial.ttf, et voilà. Le tour est joué.